Chisinau, capitale du néant
Ière partie : la découverte
IIe partie : Agacement
IIIe partie : Attendrissement
 

Moldavie
Décembre 2001

Il y a des pays qui marquent par leurs richesses, par leurs beautés, par leurs populations ou leur histoire; d'autres par leurs guerres, leurs bidonvilles, leurs famines ou leur injustices.
Il n'y en a qu'un qui marque par son insignifiance. Nous l'avons trouvé.


En collaboration avec Maud Dubost-Martin

Héritage collectif :
l
a Moldavie n'évoque rien d'autre qu'un épisode de Tintin.
C'est une minuscule
ex-république soviétique
coincée entre la Roumanie
et l'Ukraine.
Régulièrement recouverte
par 30 centimètres de neige.
Ni ressources,
ni beautés naturelles. Rien.

Arrivée vers 16 heures à l'aéroport.
Aux abords de la piste, des amas de neige.
Le terminal est neuf. Les formalités rapides.
La nuit est tombée, sale et humide.
Les rues sont vides. Quelques passants, toqués ou bonnettés s'extrayent de bus trentenaires et s'enfuient dans les rues sombres de la neige jusqu'aux chevilles.
Le séjour débute dans un bar obscur et déséspérément insignifiant situé sur leur avenue des Champs-Elysées. Nous y optons pour un rapide dîner composé d'un hot-dog à la saucisse-éponge, de bière locale, de gâteaux chimiques et colorés, ainsi que de feuillettés dont nous ne parvenons pas à nous faire expliquer la contenance. En professionnels, nous commencons par ce met mystérieux et croquons de concert dans la pâte alléchante. "Ah ! mais c'est du chou!" Eh oui, un sandwich chaud au chou caché.
Moins surprenant, mais ausi authentique : l'hôtel Cosmos, ses 20 étages et ses chambres à un minimum de 50 dollars. Goût soviétique prononcé et délavé.
Surprise, la langue roumaine, langue nationale (la moitié de la population ne parle pourtant que le russe), s'avère un mélange d'italien et d'espagnol. On comprend les indications, les pubs... La similitude disparaît dans le langage parlé. Impossible d'intercepter un mot intelligible. De toutes façons, ça n'est jamais à vous que l'on parle.

Impression que l'hiver a pris le dessus sur les autres saisons.
Toujours les mêmes filets ruisselants sur les vitres ; les mêmes caniveaux dégeulants, boueux ; les manteaux humides ; les chaussures séchant contre un radiateur.
Sortir dehors relève du cérémonial. Un second pull, une double paire de chaussettes, des bottines doublées de simili asthrakan, une écharpe. Un manteau, sombre, terne, décoloré au bas par ces années aqueuses. Les gants. Le bonnet pour les jours ordinaires (toque de fourrure héritée de grand-père = jour de fête).

Visages fermés, rudes, éprouvés, ras-le-bolisés sans trop en dire. Ici, personne ne sourit jamais. La neige noirâtre ne fait plus rêver les enfants.
Vie sociale confinée. Les gens se retrouvent au Unic Magazinul Central ou dans les quelques autres centres commerciaux, ou encore au grand marché, le triste Piata Central.
En trois jours on a fait le tour des banalités soviétiques dont recèle la ville : le palais du peuple, le palais du gouvernement, le palais de l'Opéra. Quelques églises d'une modestie agaceante quand il n'y a rien d'autre à voir.
Les piétons ont la curieuse habitude de s'arrêter d'un coup sur le trottoir, bloquant sans complexes le passage à ceux qui les suivent. Impossible de les en déloger, sinon en les bousculant d'un dédaigneux coup d'épaule (ce dont ils ne se privent pas eux-mêmes). Les mots d'excuses n'appartiennent pas au champ lexical usuel.
La ville est composée d'immeubles bas (à peine dix étages), régulièrement ratissés par des tremblements de terre. Aucun style, aucun goût.
Il n'y a pas d'histoire; seulement un vague héros national, roi médiéval qui aurait tenu tête à l'invasion turque. Le musée d'histoire est un concentré de médiocrité (le musée de la ville de Palaiseau ferait comparativement office de Louvre). Dans des salles glaciales, garnies de mauvais stucs et de dorures grossières, s'accumulent des collections de cailloux paléolithiques, de poteries insignifiantes. Dans des vitrines s'exposent des cartes postales délavées. Reconstitutions primaires de salons bourgeois. La salle des technologies fait frémir : amoncellement d'objets sans intérêt. On s'y croirait dans un grenier : vieilles machines à écrire, maquettes de Soyouz vingt fois recollées, ordinateurs des années 80.
Pas d'histoire, pas de géographie, pas de politique, pas d'économie, pas d'art, pas de mets locaux, pas de sportifs, pas de ressources naturelles, pas de sourires. Alors, quoi ?
Mine de rien, en quelques jours on apprend à se contenter de peu. La bouffe de cantine frise le repas gastronomique. Un visage qui se décontracte s'apparente à un sourire. Une foule qui attend le bus c'est presque une animation ! La neige qui cesse de tomber s'approche de l'éclaicie.
Finalement, on en vient à prendre en pitié, voire en affection, ce pays mal-né. On est ému par son manque de qualité.
Baptème orthodoxe
IVe partie : Envie d'y revenir  
L'impression que la neige a faussé notre vision du pays. Une envie naît d'y revenir pour le découvrir à une autre saison, pour prendre le temps de vister la campagne.
Une envie aussi de savoir comment survit ce pays, comment il pourrait se développer.
L'envie de ne pas laisser tomber la Moldavie. Ce serait trop facile !
 

Non, ce pays ne m'a rien fait pour que je le critique tant. Je n'y ai fait que mon boulot. Je raconte ce que j'ai vu. Ceux qui doutent n'ont qu'à y aller.

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